Surdoué, et après ?
Les hauts potentiels en entreprise, comment les détecter, les recruter ? Que leur proposer ? De quoi parle-t-on exactement ? De qui ? Comment les intégrer dans une dynamique de groupe ? A quoi faut-il faire attention ? Autant de questions auxquelles va essayer de répondre cette nouvelle newsletter.
On les a longtemps appelés « hauts potentiels », « surdoués » ou « précoces ». Aujourd’hui, pour qualifier une personne qui est doté de qualités intellectuelles supérieures à la moyenne, on parle volontiers de « zèbres ». Cette métaphore avec l’équidé vient de la psychologue française Jeanne Siaud-Facchin. En travaillant avec des adultes et des enfants « surdoués », elle s’est en effet rendu compte que l’image que l’on se fait de l’adulte surdoué est souvent bien loin de la réalité. Non, il ne réussit pas tout ce qu’il entreprend. Non, il n’est pas le centre du monde ou le leader génial attendu de tous. La réalité du surdoué est plus mitigée, car il est souvent incompris par les autres et parfois, il ne se comprend pas lui-même.
Être « zèbre », c’est avoir une personnalité différente, une manière de penser « autre », une façon de voir le monde « avec d’autres couleurs ». C’est donc aussi parfois une forme de handicap social. D’ailleurs, Jeanne Siaud-Facchin explique avoir choisi ce terme de zèbre, car le zèbre est le seul équidé que l’homme ne peut domestiquer facilement et parce qu’il se distingue de tous les autres animaux par ses rayures, qui lui permettent de se fondre dans la masse tout en étant profondément différent.
De quoi parle-t-on ?
Nous ne sommes pas tous égaux devant notre potentiel. Certains naissent avec des habilités que d’autres n’ont pas. En sport, en mathématique, en philosophie, en art… A 6 ans, Mozart cherchait « des notes qui s’aiment » et écrivait ses premières œuvres : cinq menuets, une sonate et un allegro. A 11 ans, il terminait son premier opéra. A cet âge-là, la plupart d’entre nous étions encore en train d’essayer d’écrire notre langue maternelle sans faute.
Mozart était un « zèbre », comme 2 à 3 % de la population belge. Nous pouvons définir les zèbres comme des personnes ayant « une aptitude intellectuelle supérieure aux normes ». Les définitions de norme et d’aptitude variant évidemment selon les théories psychologiques du développement de l’intelligence. Il n'y a pas de consensus global sur la définition, mais beaucoup s’entendent néanmoins sur le fait qu’un score égal ou supérieur à 130 au test de Quotient intellectuel (QI) est généralement un indicateur. En Belgique, la moyenne du QI est de 99. On notera encore que le test de QI n’est pas le seul baromètre à prendre en compte. Il existe des intelligences multiples comme l’intelligence interpersonnelle, artistique, émotionnelle, logique, linguistique, mathématique, etc.
Et pour les RH ?
Pendant très longtemps, la personnalité des collaborateurs n’était peu ou pas prise en compte dans le fonctionnement d’une entreprise. Il s’agissait d’abord et avant tout de posséder les compétences nécessaires à l’exécution d’une tâche. Depuis une vingtaine d’années, et le processus se renforce, les entreprises recrutent de moins en moins de « techniciens » au profit de « personnalités » possédant un certain profil et des « soft skills » (cf. notre newsletter consacrée au sujet).
L’idée est en effet que ces personnes « un peu différentes » sont en fait des recrues de premier choix, car elles sont capables de voir des choses que les autres ne voient pas et, donc, de trouver des solutions en dehors du cadre. C’est le fameux « Think outside the box » très à la mode depuis une décennie. Vous vous souvenez de cette stagiaire qui avait trouvé en 3 jours une solution au problème qui occupait votre équipe depuis 2 semaines ? Vous vous souvenez de ce collaborateur qui vous posait sans cesse des questions pour comprendre et apprendre ? Vous vous souvenez de cette personne un peu timide qui ne faisait jamais de bruit, mais qui était capable de vous délivrer un dossier parfaitement ficelé avec une autre vision des choses qui était tout aussi valable ? Ou encore de ce collaborateur pour qui, tous les deux ans, il fallait créer une fonction, car on voulait le garder mais son profil n’entrait dans aucune case ? Ou enfin de cette personne qui « disrupte » tous les process et les codes sans la moindre gêne et qui, au final, atteint ses objectifs ? Toutes ces personnes sont des « zèbres ».
Comment les repérer ?
Il n’est pas toujours facile de repérer ces « talents différents ». Et pourtant, certaines études démontrent qu’en milieu professionnel, certains comportements sont tout à fait atypiques, ou plutôt « typiques » de ces profils précieux. Les personnes très douées possèdent communément un certain nombre de traits de personnalité qui les distinguent et qui ne sont pas manifestement liés aux traits d'intelligence, de QI ou de créativité qui sont le plus souvent utilisés pour définir la catégorie.
Voici quelques chiffres proposés par le spécialiste de la question Steven M. Nordby dans « Giftedness and education from the perspective of sociologic social psychology » : 99,4 % des zèbres apprennent rapidement, 99,4 % ont un vocabulaire étendu, 99,3 % ont une excellente mémoire, 97,9 % sont curieux, 95,9 % ont un excellent sens de l’humour, 93,8 % ont un sens aigu de l’observation, 93,5 % ont de la compassion pour les autres, 93,4 % ont une imagination débordante, 93,4 % ont une longue durée d’attention, 92,9 % ont une capacité avec les chiffres, 90,3 % sont concernés par la justice et l’équité, 88,4 % ont un niveau d'énergie élevé, 88,3 % sont perfectionnistes ou encore 85,9 % sont persévérants dans leurs domaines d’intérêt.
Comment les stimuler ?
Parfois, les recruteurs ou managers se prennent la tête avec des personnes qu’elles ont du mal à manager ou à comprendre au quotidien. Une incompréhension souvent réciproque d’ailleurs. Le problème avec les zèbres, ce n’est pas le zèbre en lui-même, mais le pré dans lequel vous allez le laisser évoluer. Dit autrement : le plus brillant de vos éléments peut devenir le plus encombrant des collaborateurs, ou au contraire le plus passionné et celui qui amènera le plus de choses à votre entreprise. Tout dépend de son encadrement.
En 2020, il faut partir du principe que chacun doit pouvoir s’exprimer dans toute sa différence pour autant que le travail est accompli, et ce, même si certaines compétences des zèbres sont parfois déroutantes : gestion des émotions, humour décalé, franc-parler. Les surdoués font instinctivement des liens entre des disciplines, des métiers, des dossiers. N’hésitez pas à les placer à des postes « carrefour » où circulent un maximum d’informations. Ils pourront faire le tri et relier ce qui semble totalement éloigné.
Les surdoués sont en questionnement permanent. Il faut donc leur permettre d’occuper des postes dans lesquels ce besoin sera rencontré et ils se sentiront stimulés. Les surdoués sont généralement aussi des hyper-sensibles. En entreprise, c’est loin d’être une faiblesse car, bien utilisée, cette compétence permet aux surdoués de décoder des relations humaines, de déchiffrer des situations managériales tendues. Et d’apporter d’autres solutions.
Pourquoi aujourd’hui, un surdoué est-il plus important qu’hier ?
Nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises dans nos newsletters : le monde du travail est en plein bouleversement. Le management devient de plus en plus horizontal, le lieu du travail est en redéfinition (télétravail, open space…), le temps consacré au travail est différent (fini le classique 9h-17h, aujourd’hui, on travaille par périodes), etc.
Tout cela fait que le travail est de moins en moins considéré comme un endroit où se rendre à heure fixe, mais de plus en plus comme un nombre de tâches à accomplir. Dans ce nouvel environnement qui se dessine et qui s’accélère avec la crise du coronavirus, les zèbres représentent une énorme opportunité pour une société, car les lunettes qu’ils portent en permanence pour regarder le monde leur permettent de détecter des solutions ou des « possibles », là ou d’autres auraient déjà abandonné depuis longtemps.