« Soyez les premiers repères de vos clients »
Pour cette édition spéciale d’OpenSpace, nous avons demandé à l'écrivain et conférencier Fred Colantonio quelques conseils pour les entreprises dans ses deux domaines de prédilection : l’innovation et l’opportunité. Deux thèmes ô combien essentiels en cette période. Alors installez-vous confortablement, servez-vous un café et faites le plein de pistes de réflexion.
Toutes les entreprises peuvent-elles transformer cette période en opportunité ?
Il faut évidemment distinguer plusieurs types d’entreprises. Pour celles qui cartonnent malgré la crise en faisant « plus » de la même chose (à l’exemple d’Amazon) ou pour celles qui sont au bord de la faillite parce qu’interdites d’exercer, on parlera peut-être plus difficilement d’opportunité liée au contexte actuel. Pour les autres, tout est possible.
Comment se préparer un terrain fertile en opportunités en ce début 2021 ?
Dans les entreprises qui arrivent à innover, j’ai constaté qu’elles ont en commun trois éléments clés. Le premier : reconnaître l’existence de cette crise, c’est-à-dire éviter de nier la situation ou de foncer tête baissée sans prendre la mesure de la réalité. C’est admettre que la situation est compliquée et qu’on doit tous se retrousser les manches pour s’en sortir.
Le deuxième élément consiste à se demander en quoi nous sommes encore naturellement bons, dans quoi nous sommes encore efficaces et performants pour servir nos clients sans changer trop de choses. Se réinventer ne signifie pas toujours tout revoir, mais parfois juste se recentrer sur l’essentiel de ce qu’on maîtrise. Sur nos vraies forces. Ainsi, malgré la crise, peu de sociétés voient leur finalité changer (améliorer la relation entre parties prenantes, offrir certaines prestations, servir les clients…). Par contre, les modalités d’exécution sont aujourd'hui différentes. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient perdu le cap. Leur proposer cette grille de lecture simple résout souvent bien des problèmes de perception.
Enfin, troisième élément, l’action. La mise en œuvre de nouvelles façons de faire. Les points d’innovation (sur quoi devons-nous travailler pour nous réinventer ? Que devons-nous créer ?) constituent un aspect. Les points de pivot (que devons-nous faire autrement ?), un autre. Par exemple : la numérisation de la relation clients. La finalité ne change pas, mais les modalités bien.
Avec cette crise, certaines entreprises ou collaborateurs ont connu des échecs, des tensions. Comment rebondir ?
Le rebond, c’est reculer pour mieux sauter. Il faut prendre le temps de reconnaître cet état de vulnérabilité. Le manager qui s’entête à prétexter « Tout va bien pour nous, on n’a cure de ce qui se passe dehors », loupe la dimension globale de cette pandémie. Elle nous affecte tous, sur tous les plans (personnel, professionnel, émotionnel, relationnel…). L’oublier ou la sous-estimer, c’est s’exposer à un sérieux retour de flamme.
Comment repérer ou créer une opportunité ?
Le premier point, c’est qu’il faut avoir dans l’équipe une personne ultra-curieuse qui s’intéresse à beaucoup de thématiques. Elle a les yeux grands ouverts et est à l’affût, à l’écoute, en quête. On a toujours besoin de quelqu’un dans notre entourage qui soit force de propositions.
Par ailleurs, toutes les sociétés innovantes ont compris que ce n’est pas en frottant une lampe magique que sort le génie de l’innovation.
Créer une opportunité, c’est avant tout une démarche. Souvent, il existe déjà un dossier sur un serveur, des documents partagés ou un canal sur un outil collaboratif qui répertorient et listent des potentiels dont on ne sait pas encore ce qu’on va faire. Mais c’est une matière première. Thomas Edison et ses ingénieurs se documentaient et collectaient des tas d’informations, objets et matières apparemment sans rapport. À un certain moment, ils ont compris qu’ils pouvaient connecter plusieurs d’entre eux pour produire du neuf. Bien des innovateurs tiennent un carnet de leurs pérégrinations : « Tiens, j’ai vu ça, on ne sait jamais, je le note, le consigne ».
Enfin, il faut se dire que l’étincelle ne viendra pas toute seule. Le mythe de l’individu frappé par la grâce a vécu. L’innovation se travaille. Elle n’est pas innée et ne tombe pas du ciel. Il faut scanner le réel, identifier des manques, faire se rencontrer des mondes qui ne se parlaient pas. Pour cela, adoptez une posture de vigilance, soyez curieux de manière organisée : documentez-vous, partagez les infos, utilisez les canaux de discussion en interne. Ainsi, vous favorisez l’apparition de momentum.
Enfin, il nous faut aussi des profils complémentaires plus que similaires (curation 1). Il faut rassembler autour de la table des gens qui ont de grilles de lecture différentes.
Vous avez acquis votre notoriété notamment grâce à votre théorie sur « L'attitude des Héros ». Aujourd’hui, le héros est fatigué, non ?
Le héros est celui ou celle qui tient le rôle principal dans une histoire. On est donc tous concernés, tous candidats. Mais attention que héros ne veut pas dire super-héros, indestructible, invulnérable. On est tous humains, donc vulnérables. Mais si chaque médaille a son revers, derrière chaque revers, il y a peut-être bien une médaille à aller chercher.
Redevenons nos premiers repères, assumons notre vulnérabilité. C’est normal d’être touché et ébranlé. C’est normal aussi que ça ne marche pas du premier coup, voire que ça ne marche pas à tous les coups. C’est notre plus grande force. Adopter une attitude héroïque, c’est accepter la part d’échec dans toute initiative que l’on entreprend, en ayant conscience que dans tout échec, il y a un cadeau à trouver. C’est la très belle phrase d’Oswald Avery, médecin canadien : « Chaque fois que vous tombez, ramassez quelque chose ».
Et les collaborateurs, ne sont-ils pas fragilisés ?
Les collaborateurs gagnent à être considérés comme des clients internes d’un point de vue RH. J’ai parfois été frappé ces derniers mois par le désarroi des managers. Certains me disaient ne plus avoir de contact avec leurs collaborateurs depuis des semaines. À l’inverse, j’ai été témoin de l’explosion du micro-management, avec des managers qui tiennent leurs collègues en alerte et en disponibilité toute la journée. Les deux cas me font extrêmement peur, car ils manquent de nuance.
Ce qui est fondamental, c’est de ne pas négliger la phase du ressenti des collègues. De poser encore et encore sincèrement la question : comment ça se passe, comment ça va pour toi ? Tout le reste (implication, reporting, réunions…) est conditionné par l’état d’esprit de la personne. Si elle est sécurisée, on peut avancer. Si, à l’inverse, on est face à quelqu’un qui vit mal la situation (anxiété, démobilisation, deuil), elle peut passer à côté de toutes nos initiatives et tentatives d’adaptation. À moins que ça ne soit nous qui passions à côté d’elle et de son état émotionnel.
Qu’entendez-vous par client interne ?
Souvent, l’entreprise assimile ses collaborateurs dans un grand NOUS et se concentre surtout vers l’extérieur (clients, fournisseurs, concurrents). Or, j’invite les équipes de direction, l’encadrement et le management à aller prioritairement vers les collaborateurs, pour recréer du lien et de la confiance, et en prendre soin. Évitons à tout prix de réduire le travail à une somme de tâches exécutées. D’un point de vue humain, c’est capital. La tentation est énorme de sauter de Zoom en Zoom en négligeant les relations et les conversations de personne à personne. La dimension sociétale du travail doit être prise en compte et préservée.
En tant que conseiller en entreprise, quels seraient les conseils que vous donneriez aujourd'hui ?
Pour moi, il est capital d’être à l’écoute de ce qui nous entoure directement (clients, collaborateurs, etc.), plutôt que des médias de masse et de l’afflux incessant de mauvaises nouvelles.
Soyez sur la brèche : identifier une opportunité demande beaucoup de disponibilité mentale. Ensuite, il faut aussi se débarrasser de nos peurs (sanitaires, économiques…) et oser tenter de nouvelles approches, faire de nouveaux paris en continuant à miser malgré l’incertitude générale.
Troisièmement, il faut revenir à l’essentiel et à l’ADN de l’entreprise. Se concentrer sur ce qu’on sait déjà bien faire et l’adapter à ce qui se passe aujourd’hui. Pourquoi sommes-nous là et comment pouvons-nous apporter, contribuer, produire et servir encore mieux, encore plus ?
Quels dangers pour l’entreprise qui ne mène pas cette réflexion ?
Si vous faites l’économie de cette réflexion, gare à vous, car d’autres la mènent et sont en train de se repenser. Ils pourraient bien vite occuper l’espace qui est le vôtre aujourd'hui. Il ne faut pas disparaître des radars. Allez au contact. Prenez la température. Montrez que vous existez et que vous êtes une ressource. Dans ce contexte flou, soyez les premiers repères de vos équipes, de vos clients.
Nous sommes tous en marche alors que personne ne sait vraiment vers quoi on va. Soyons moteurs d’espérance. Martin Luther King disait une phrase pleine de justesse : « Même si je savais que le monde serait anéanti demain, je planterais quand même un pommier. » C’est une vraie posture en période de doute, car quelle est l’alternative, le désespoir ? Le pire consiste à croire que nous n’avons plus de marge de manœuvre. En tant qu’entreprise, on doit s’offrir et donner des perspectives, créer des lignes d’horizon que l’on a envie d’atteindre, vers lesquelles on a envie d’aller et d’emmener les autres.
Merci Fred pour ces précieux conseils !