L’intelligence artificielle au service ou à la place des RH ?
L’intelligence artificielle est entrée dans le monde du travail. A petits pas les premières années. Avec de plus grandes enjambées depuis 2 ans. Quel est l’impact sur le monde des entreprises ? Tous les domaines seront-ils touchés de la même manière ? Comment cela affectera l’emploi ? Et les relations entre collaborateurs ? Cette « intelligence » sera-t-elle au service des RH ou les remplacera-t-elle ? Autant de questions que nous allons aborder dans cet article.
De manière purement théorique, l’intelligence artificielle couvre « l’ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l'intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…) ». Mais il existe une autre définition possible, une définition moins technique et plus émotionnelle : « L’intelligence artificielle est une intelligence créée par l’homme qui risque bien de lui succéder d’ici 20 ans ». Cette définition, de plus en plus de spécialistes l’utilisent, non pas comme oiseaux de mauvais augures d’un monde déshumanisé mais plutôt comme une option qu’il y a encore 10 ans, personne n’imaginait. Le monde dans lequel l’humanité est en train de basculer est en effet complexe et opaque. Complexe car il fait cohabiter des ingénieurs de la Silicon Valley qui développent des programmes de plus en plus spécialisés à côté de sociétés « tribales » comme en Papouasie par exemple, qui viennent à peine de sortir de l’âge de pierre. Un monde opaque par ailleurs parce qu’on ne sait pas grand-chose aujourd’hui de ce qui nous attend demain et qui se prépare dans des laboratoires ultra-sécurisés de Google, Facebook, Amazon, Tesla, … « Certains possibles » se dégagent néanmoins qui impacteront l’ensemble de notre rapport au travail.
Le grand remplacement
Dans le monde du travail, une des théories avancées depuis un an et demi est celle d’un grand remplacement des hommes par les « machines ». C’est notamment celle de Yuval Harari, l’historien et professeur israélien auteur de plusieurs best-sellers dont « Sapiens ». En résumé : des tas de métiers actuels sont appelés à disparaître et seront remplacés par des programmes informatiques au fur et à mesure qu’ils gagneront en intelligence. C’est d’ailleurs le sujet de l’étude intitulée « Le futur de l’emploi : quels métiers peuvent le plus facilement être informatisés ? » menée par deux chercheurs de l'université d'Oxford, Carl Benedict Frey et Michaël Osborne fin 2018. Ces derniers affirment que 47 % des métiers seront automatisés d'ici vingt ans. Ils ont d’ailleurs dressé une liste des professions les plus menacées parmi les 702 étudiées. Sans surprise, les notaires, les assistants juridiques, les comptables, les contrôleurs des impôts, les techniciens de laboratoires, les assistants personnels/secrétaires de direction, … devraient être à très court terme « remplacés ». Nous écrivons sans surprise car plusieurs sociétés ont déjà adopté des programmes informatiques pour ces compétences. Baker Hugues et Shell ont par exemple déployé en 2014 un programme d'intelligence artificielle baptisé Amelia pour travailler à la place des comptables. Google vous permet également aujourd’hui d’avoir un assistant personnel 7 j/7 – 24h/24 disponible dans votre poche. Un assistant qui ne fait pas de pause déjeuner, qui n’oublie rien, qui ne se trompe pas dans les dates et qui peut d’ores et déjà anticiper vos besoins et vous prévenir si, sur la route que vous devez emprunter pour vous rendre à un rendez-vous, il y a du trafic…
Quid des RH ?
La question pour la gestion des ressources humaines se pose doublement. Premièrement, aura-t-on encore besoin de RH dans les futures entreprises ? Deuxièmement, comment faudra-t-il gérer ces nouveaux collaborateurs dans l’entreprise ?
Pour répondre à la première question, les nouvelles ne sont pas spécialement bonnes. Les assistants en Ressources humaines ont en effet 90 % de chance de disparaître d’ici 2025. C’est ce qu’annonce le baromètre RH de Bodet Software et CXP. Aujourd’hui, un tiers des entreprises interrogées sont équipées d'un système d'information de gestion des ressources humaines (SIRH), soit un logiciel de gestion automatisée de certaines tâches administratives comme la paie, les congés, les promotions... Selon ce baromètre, « l’informatisation des ressources humaines est donc en marche, et ce n'est que le début ». Certains vont même plus loin. Selon deux chercheurs de l'université du Minnesota, Nathan Kuncel et Deniz Ones, les candidats à l'embauche pourraient même être recrutés à l'aide d'un algorithme. Ils ont réalisé plusieurs études d’évaluation de candidats et ces dernières démontrent que certaines équations surpassent d'au moins 25 % les décisions humaines. Ils annoncent donc sans rire que « les recruteurs feraient mieux de laisser les machines décider ».
Des machines qui recrutent ?
Ira-t-on vraiment jusque-là ? Laissera-t-on vraiment les machines recruter à notre place ? C’est ce qu’affirment Nathan Kuncel et Deniz Ones dans le Harvard Business Review dans un article publié en France il y a quelques années. Le problème, selon ces études, est que les humains se laissent aisément distraire par des détails. Ils peuvent par exemple se laisser séduire par un compliment ou juger une remarque d’un candidat sur un sujet finalement peu relevant pour le travail à accomplir. Au final, les chercheurs recommandent non pas que les machines fassent tout le processus de recrutement, mais une bonne partie. À savoir : la sélection des candidats finaux (la fameuse short list) sur base de tests « neutres ». Les paramètres humains intervenant à ce moment-là pour avoir une approche « instinctive » et pour négocier, le cas échéant.
Une fonction RH différente
Se passera-t-on définitivement des RH ? Aujourd’hui, la réponse est non. Pour gérer les collaborateurs, pour permettre à ces derniers de coexister avec les machines, il faudra encore du management… humain. Alors, concrètement, qu’est-ce qui risque de changer dans les prochaines années pour les RH dans une société 3.0 où l’intelligence artificielle sera présente ? Il est évident que cela dépendra du secteur. Une société de taxi risque fort de devoir gérer des voitures autonomes d’ici 10 ans, se passant donc de ses chauffeurs. Une société dont le core business est la formation sera moins impactée. De manière générale, il semble que trois niveaux soient directement touchés dans la gestion RH par l’intelligence artificielle.
Premièrement, l’intelligence artificielle permettra de « gagner du temps ». La part des tâches humaines prévisibles et répétitives sera automatisée. L’objectif pour le DRH dans les prochaines années sera donc de déterminer quelles tâches de quelles fonctions pourront être déléguées aux machines, ce qui permettra d’affecter une partie du travail de certains collaborateurs à « autre chose », qu’il conviendra là aussi de déterminer.
Deuxièmement, en équipant directement les collaborateurs d’outils qui les rendent plus autonomes, l’intelligence artificielle leur permet de se former, d’être coachés, de faire des feed-backs, … L’intelligence artificielle peut en permanence évaluer le collaborateur, lui faire des recommandations, le recentrer sur une tâche ou lui proposer des services.
Enfin, grâce aux data créées en permanence et en temps réels par les salariés et analysées par des intelligences artificielles, le RH recevra des notifications et pourra savoir où, quand et comment intervenir dans sa gestion. Le rôle du manager sera donc probablement totalement renouvelé. Il devra passer de manager de collaborateurs qui exécutent des tâches à manager capable de faire émerger des talents et à les faire grandir dans les équipes où les machines auront leurs data à dire.