La place de la femme en entreprise : tour d’horizon et témoignage
Le monde économique belge est encore majoritairement masculin. Mais les choses évoluent progressivement. Ce qui était impensable il y a encore 50 ans est aujourd’hui une réalité : les femmes endossent de plus en plus de responsabilités dans les entreprises. Ce qui soulève plusieurs questions : quel est le nombre de femmes chefs d’entreprise ? Comment sont-elles arrivées aux postes qu’elles occupent ? Ont-elles rencontré des obstacles ? Ont-elles des modèles ? Doivent-elles déployer plus d’efforts que les hommes ? Eclairage.
Si le Bel 20 (le principal indice boursier national de la Bourse de Bruxelles composé des 20 sociétés cotées dont la capitalisation boursière flottante est la plus importante) est considéré comme la référence économique en Belgique, alors il reste beaucoup à faire pour la place des femmes à des postes importants dans notre pays. Elles ne sont en effet que 2 (depuis le départ de Dominique Leroy, la CEO de Proximus) à occuper des fonctions de chefs dirigeantes dans une société du Bel 20. Cela représente 10 % des postes. C’est deux fois mieux qu’à Wall Street (27 femmes CEO sur le S&P 500), mais cela reste faible. La FEB (la Fédération des entreprises de Belgique) a un temps été dirigée par une femme mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien que certaines entreprises publiques aient une femme au gouvernail, ce n’est pas la norme. Elles ne sont en fait que 20 % à en diriger une. Voilà pour l’état des lieux. Mais depuis plusieurs années, les choses avancent vite et bien.
Une loi au centre des changements
La dernière étude de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes en novembre dernier révélait qu’entre 2008 et 2017, la proportion de femmes au sein des conseils d’administration de l’ensemble des 115 entreprises belges étudiées a plus que triplé, passant de 8,2 % à 26,8 %. Une étude basée sur la composition des conseils d’administration et des comités de direction. Une progression que l’on doit à deux facteurs : un changement de mentalité de la société concernant le regard porté sur les femmes « au pouvoir », tant par les femmes que par les hommes, et un changement dans la loi concernant les places des femmes dans les sociétés. En effet, la loi visant à garantir une présence d’au moins un tiers de chaque sexe au sein des conseils d’administration (pas de direction) des entreprises publiques autonomes, de la Loterie Nationale et des entreprises privées cotées en bourse a été adoptée le 28 juillet 2011.
L’an dernier, toutes les entreprises publiques autonomes respectaient l’obligation légale. Petit bémol : la Loi Quota n’a aucun pouvoir sur les postes qu’occupent les femmes au sein des conseils, de sorte que les femmes occupent rarement le poste de présidente. Sur les 115 entreprises recensées dans l’étude, seules 5 (4,3 %) avaient une femme à la tête de leur conseil d’administration. Or, les femmes possèdent 60 % des diplômés universitaires belges.
De vraies difficultés
Selon les derniers chiffres de Statbel, au troisième trimestre 2018, 66,3 % des femmes âgées de 20 à 64 ans travaillaient contre 73,8 % des hommes. Rappelons qu’il y a 60 ans, la grande majorité des femmes ne travaillaient pas et celles qui travaillaient étaient cantonnées dans des secteurs spécifiques (enseignante, aide-soignante, femme d’ouvrage, secrétaire…).
Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Mais si les mentalités évoluent, il ne faut pas oublier qu’il y a encore quelques décennies, le statut des femmes au travail était largement inférieur à celui des hommes. Il a par exemple fallu attendre 1969 pour qu’une loi interdise aux employeurs de licencier une femme pour cause de mariage ou de grossesse. Et, en 1976, la Cour de Justice des Communautés européennes a condamné l'État belge pour son traitement discriminatoire des hôtesses de l’air de la Sabena. Le contrat de travail de ces travailleuses prévoyait en effet leur licenciement sans indemnités dès qu’elles atteignaient l’âge de 40 ans. En outre, la Sabena ne cotisait pas pour elles au « Fonds de pension » autant qu’elle le faisait pour ses travailleurs masculins.
Aujourd’hui encore, la différence homme/femme se marque au travail : des filières entières sont réservées à des genres (dans le secteur des Technologies, elles ne représentent encore que 15 à 20 % des postes par exemple). Elles représentent par contre 95 % des travailleurs du secteur de la propreté. L’égalité salariale n’est pas encore atteinte (cf. l’article Le Saviez-vous ?). Être une femme c’est aussi parfois s’exposer à des remarques sexistes ou carrément à du harcèlement. C’est aussi, accéder moins facilement à des postes à responsabilités.
Être femme et chef d’entreprise en 2019
Martine Constant, directrice de 2 sociétés de marketing de service et d’études de marché depuis 24 ans, est la présidente de l’Association des Femmes Chefs d’Entreprise à Liège. Elle est expert agréé par la Région wallonne pour accompagner les PME et les jeunes créateurs.
Pour elle, l’évolution de la place de la femme et singulièrement de la femme en tant que chef d’entreprise a fortement évolué. « Il y a 25 ans, il était souvent difficile de concilier vie de famille et carrière. Être à la fois jeune maman et fondatrice de sa propre entreprise et gérer des équipes nécessite un sens aigu de l’organisation, une parfaite santé et une très grande vitalité, indispensables pour mener le tout de front ! Ce n’était pas évident, car la femme était au centre de la famille, les époux étaient peut-être moins impliqués qu’à présent. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les choses ont évolué, les deux parents s’impliquent de façon plus équitable au sein de la famille, la femme a droit à sa réussite professionnelle autant que l’homme. La culpabilité est moins grande lorsque la femme s’octroie du temps pour prendre soin d’elle et pratiquer du sport ou des activités entre copines. »
L’entrepreneuriat féminin
Très active pour ses propres challenges, Martine Constant est aussi pleinement impliquée dans le partage d’expériences. « L’entrepreneuriat féminin est en plein essor. Cercles de discussion, réseaux, mentorat… Les initiatives se multiplient depuis plusieurs années et les femmes s’organisent entre elles pour s’aider à grandir. J’ai toujours aimé booster l’entrepreneuriat féminin. Certaines femmes hésitent, il faut leur donner confiance. C’est la raison pour laquelle je suis devenue mentor et ambassadrice de l’entrepreneuriat féminin. Très concrètement, cela veut dire accompagner, conseiller et challenger une personnalité et un projet. On se voit, on se questionne. Je partage mon expérience, j’essaie de donner envie d’entreprendre. Et je reçois également beaucoup en retour. Parfois les conseils portent plus sur la manière ou l’attitude. Quelquefois, sur des questions de base comme : quelle niche correspond au projet ? », précise Martine Constant qui observe un réel changement depuis 5 à 10 ans. « Le chemin reste long. De plus en plus de femmes passent le cap et deviennent indépendantes autour de leur projet. C’est fantastique, mais l’objectif est d’aller une étape plus loin. Prendre son indépendance, mais également créer de l’emploi. La création d’emploi par les PME est le poumon de l’économie belge. »
Entreprendre ? Pas une question de genre !
Les hommes et femmes qui accèdent à des postes à responsabilités ou qui sont chefs d’entreprise gèrent-ils les choses de manière différente ? Pour Martine Constant, « le management n’est pas genré. Homme ou femme, le défi est le même. On est au cœur d’une magnifique aventure humaine où il faut être passionnant, généreux, équitable et insuffler une dynamique positive tous les jours. Le manager doit veiller à la réussite collective plutôt que personnelle. En tant que femme manager, je suis très sensible à ce qui touche mes équipes, ensemble nous partageons notre passion du métier, l’envie de nous surpasser, le respect de chacun et du travail bien fait, j’ai toujours voulu insuffler un sentiment d’appartenance et la fierté de faire partie d’une équipe qui se distingue, c’est une question de personnalité. Ce n’est pas typiquement féminin. Qu’on soit un homme ou une femme, l’essentiel est d’être inspirant pour ses équipes, de partager ses émotions et de transmettre son savoir et sa passion. »