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Culte de la performance : stop ou encore ?

Le monde moderne nous demande et nous apprend à être efficaces et performants. Quasi en toutes circonstances. C’est d’ailleurs ce que le système scolaire nous enseigne à coup d’examens, de notes et de résultats tout au long de notre vie.

Du matin au soir, nous vivons dans une quotidienneté de performance, ce qui veut dire que nous sommes sans cesse sollicités, et en tension. De manière volontaire ou involontaire, consciente ou inconsciente. Et c’est encore plus vrai au travail.

La performance, cette somme de l’efficacité et de l’efficience, nous impose d’atteindre des objectifs avec le moins de moyens possibles. En d’autres termes : aller plus vite et faire « plus » avec « moins ».

La performance doit-elle être crainte ou vue comme une fin en soi ? C’est tout l’enjeu de cette newsletter que nous vous proposons.

Belle lecture,

Laura

Article thématique

  • Une performance tout en nuances

    Du tableau noir à la salle de réunion, la quête de performance s’impose comme une norme incontournable. Appréciée pour ses promesses d’efficacité, elle dessine pourtant une société en tension, où l’optimisation prime parfois sur le bon sens et la santé.

    La température corporelle humaine est généralement maintenue autour de 37 degrés. Et pourtant, notre corps est plus performant quand il atteint 39-40 degrés. A cette température, certaines fonctions biologiques comme l'activité enzymatique peuvent être plus efficaces. Par exemple, en sport en accélérant le métabolisme, et en augmentant la vitesse de contraction musculaire. Si notre corps, biologiquement, et naturellement, ne reste pas à 39 degrés, c’est parce que maintenir cette performance ne serait pas sans danger pour lui. Au-delà de 39-40 degrés, les protéines peuvent perdre leur structure, ce qui perturbe les fonctions cellulaires ou les capacités neurologiques. Par ailleurs, maintenir une température corporelle élevée nécessite une dépense énergétique importante, ce qui n'est pas durable à long terme.

    Le bon sens naturel 😉

     

    Des aspects positifs

    Le culte de la performance peut avoir des aspects très positifs évidemment. Nous en avons listé 5.

    1/Développement personnel et dépassement de soi

    La recherche de performance incite à repousser ses limites, favorisant ainsi la croissance personnelle. Dans le domaine sportif, par exemple, l'effort et la persévérance sont valorisés non seulement pour les résultats obtenus, mais aussi pour les vertus qu'ils incarnent, telles que la ténacité et le sens du sacrifice.

    2/ Stimulation de la motivation et de l'engagement

    Se fixer des objectifs de performance peut renforcer la motivation intrinsèque, en donnant un sens aux actions entreprises. Cette dynamique est particulièrement bénéfique lorsqu'elle est alignée avec des aspirations personnelles, contribuant ainsi à un sentiment d'accomplissement et de satisfaction.​

    3/ Promotion de l'innovation

    Dans un contexte professionnel, la culture de la performance encourage l'innovation et l'amélioration continue. Elle pousse les individus et les organisations à innover, à optimiser leurs processus et à rechercher l'excellence, ce qui peut conduire à des avancées significatives et à une meilleure qualité des produits ou services offerts.​

    4/ Renforcement de la résilience face au stress

    L'engagement dans des activités axées sur la performance peut également renforcer la résilience, en apprenant à gérer le stress et à faire face aux défis.

    5/ Valorisation du mérite et de l'effort

    Dans une société où la performance est valorisée, les individus sont souvent reconnus pour leurs efforts et leurs compétences, indépendamment de leur origine ou de leur statut social. Cela peut contribuer à une culture du mérite, où le travail et la détermination sont récompensés, favorisant ainsi l'équité et l'inclusion.​ Cela peut, par ailleurs, servir d’exemple pour d’autres employés ou collaborateurs.

     

    … et les impacts négatifs.

     

    Vouloir maintenir la performance, ou l’ériger en culte, n’est pas sans conséquences néfastes pour les collaborateurs et travailleurs. Voici 6 points d’attention :  

    1/ Épuisement professionnel et burn-out

    Une quête constante de performance peut mener à un épuisement physique et mental, se manifestant par une fatigue chronique, des troubles du sommeil, une perte de motivation et une diminution de l'estime de soi. C’est ce qu’on appelle le burn-out, et en Belgique, les données les plus récentes indiquent que 28,3 % des travailleurs y sont exposés. (Chiffre Securex 2024)

    2/ Dégradation de la santé mentale et physique

    La pression continue pour atteindre des objectifs élevés peut aussi entraîner du stress, de l'anxiété et de la dépression. Les environnements de travail où la performance est sur-valorisée peuvent également favoriser des comportements addictifs, tels que la dépendance au travail, au détriment de la santé mentale des individus.

    Le stress chronique associé à une pression constante peut avoir des répercussions physiques, telles que des troubles cardiovasculaires, des maux de tête, des troubles musculo-squelettiques et une augmentation du risque de maladies chroniques.

    3/ Relations sociales et familiales troublées

    Un engagement excessif dans le travail peut nuire aux relations personnelles, entraînant isolement, conflits familiaux et déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée.

    4/ Perte de sens et désengagement

    Lorsque la performance devient une fin en soi, les individus peuvent ressentir une perte de sens dans leur travail, menant à un désengagement, une baisse de la satisfaction professionnelle et une diminution de la créativité. ​

    5/ Culture de la peur et de la compétition

    Un environnement axé sur la performance peut engendrer une culture de la peur, où les erreurs sont stigmatisées et la compétition entre collègues est exacerbée. Cela peut conduire à une atmosphère de travail toxique, réduisant la collaboration et la cohésion d'équipe. ​

    6/ Inégalités et discriminations

    La focalisation sur la performance peut accentuer les inégalités, en valorisant uniquement les résultats quantifiables et en négligeant les contributions moins visibles mais essentielles. Cela peut entraîner des discriminations, notamment envers les personnes ayant des contraintes personnelles ou des styles de travail différents. Pour le dire autrement : ceux qui performent sont souvent entourés de collaborateurs moins visibles qui les aident à « réussir leur pari ».

     

    Faire autrement : la robustesse.

     

    Il est tout à fait possible de grandir et d’atteindre des résultats, tout en respectant les particularités de chacun.

    Pour les entreprises, on recommandera de

    • Promouvoir le bien-être au travail : Mettre en place des initiatives favorisant l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.​
    • Encourager la reconnaissance de tous : Valoriser les efforts et les réussites des employés pour renforcer leur engagement, y compris aux personnes moins « visibles ».
    • Favoriser un environnement collaboratif : Encourager la coopération plutôt que la compétition entre collègues.​ Comme le dit l’adage : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin »
    • Offrir des ressources de soutien : Proposer des services d'accompagnement psychologique et de gestion du stress.​

     

    Mais il y a aussi d’autres options… Contrairement à la performance, qui vise l'efficacité et l'efficience dans un contexte stable, la robustesse se concentre sur la capacité d'un système à maintenir sa stabilité malgré les perturbations. Elle privilégie la polyvalence, la redondance et l'adaptabilité, permettant ainsi aux individus et aux organisations de mieux résister aux chocs et aux changements imprévus.

    La culture de la robustesse, développée par le biologiste français Olivier Hamant très récemment, propose une alternative au culte de la performance en mettant l'accent sur la stabilité et la viabilité des systèmes face aux fluctuations et incertitudes du monde moderne.

     

    Dans un monde caractérisé par des crises multiples et interconnectées (climatiques, sanitaires, géopolitiques, sociales…), la recherche exclusive de performance peut rendre les systèmes fragiles. La robustesse, en revanche, offre une approche plus résiliente, en intégrant des marges de manœuvre et en valorisant la diversité des compétences et des approches.

    Pour favoriser une culture de la robustesse, les organisations peuvent, par exemple :

    • Encourager la polyvalence : Former les employés à diverses compétences pour qu'ils puissent s'adapter à différents rôles.​
    • Valoriser la collaboration : Favoriser le travail d'équipe et le partage des connaissances pour renforcer la cohésion et la flexibilité.​
    • Intégrer la redondance : Prévoir des solutions alternatives et des plans de secours pour faire face aux imprévus.​
    • Accepter l'imperfection : Reconnaître que l'erreur fait partie du processus d'apprentissage et peut conduire à des innovations.​

     

    Et si échouer était une chance ?

    Si vous entendez parler de James Dyson, vous pensez ignorer de qui il s’agit. Et pourtant, vous le connaissez tous. Cet inventeur et designer industriel britannique est mondialement connu pour avoir créé des aspirateurs, les fameux Dyson. Et pourtant, James Dyson a conçu 5127 prototypes d'aspirateur avant de parvenir à son modèle final. Ce processus de développement a duré cinq ans, de 1979 à 1984, et a abouti à la création du premier aspirateur sans sac utilisant la technologie cyclonique, le G-Force, lancé en 1983.

    Trop souvent, on associe l’échec à la honte ou à l’incompétence. Pourtant, chaque chute est une opportunité de se relever plus fort. Échouer, c’est apprendre. C’est se heurter à ses limites pour mieux les dépasser. Un échec bien analysé devient une leçon précieuse, un tremplin vers la réussite. Il nous oblige à repenser nos méthodes, à revoir nos priorités. Il aiguise notre persévérance et forge notre caractère.

    Et si, finalement, échouer était l’une des meilleures façons de réussir ? 😉

Inspirations

  • La loi de Goodhart

    La loi de Goodhart, formulée par l'économiste britannique Charles Goodhart en 1975, énonce que « lorsqu'une mesure devient un objectif, elle cesse d'être une bonne mesure » .

    Autrement dit, dès qu'un indicateur est utilisé comme cible à atteindre, il perd sa fiabilité en tant que reflet fidèle de la réalité, car les comportements s'ajustent pour optimiser cet indicateur, souvent au détriment de l'objectif initial. La loi de Goodhart souligne donc les dangers de confondre les indicateurs avec les objectifs réels.

    Et nous pouvons en trouver des exemples très concrets dans notre quotidien.

    • Dans l’enseignement, lorsque les profs sont évalués en fonction des résultats de leurs élèves à des tests standardisés, ils peuvent être incités à "enseigner pour le test", négligeant ainsi une éducation plus généraliste.
    • A l’université, la pression pour publier un grand nombre d'articles peut conduire les chercheurs à privilégier la quantité sur la qualité, en ciblant des publications faciles plutôt que des recherches innovantes…

    Il est donc nécessaire de s’interroger aussi sur les mesures que nous appliquons lors de nos évaluations de performance.

  • A vos livres…

    Il est évidemment impossible d’appréhender toute la finesse du sujet de la performance en un article. Voici donc quelques livres récents à lire sans modérations.

    Antidote au culte de la performance – La robustesse du vivant – Olivier Hamant

    Olivier Hamant, dont nous avons parlé plus haut, nous offre un ouvrage original en confrontant les logiques biologiques aux injonctions de performance.

    Résister à la culpabilisation – Mona Chollet

    Dans cet essai, Mona Chollet s'attaque à la pression constante de devoir être performant et irréprochable. Elle explore les mécanismes de culpabilisation, notamment chez les femmes, et propose des pistes pour s'en libérer. L'auteure invite à une réflexion sur l'auto-exigence et la bienveillance envers soi-même.

    The Burnout Society – Byung-Chul Han

    Byung-Chul Han analyse comment la pression constante pour être performant conduit à l'épuisement, à la dépression et à l'auto-exploitation. Il décrit une société où l'individu devient à la fois maître et esclave de lui-même, piégé dans une quête incessante de réussite.

Le saviez-vous ?

  • 34 %

    En 2023, 34 % des travailleurs belges ont continué à travailler alors qu’ils étaient malades. Ce phénomène, connu sous le nom de présentéisme illustre parfaitement le culte de la performance ancré dans notre quotidien.

    Source : Securex