Innover pour se sortir de la crise
Innover, voilà un mot à la mode depuis longtemps. Et pour cause : dans une entreprise, c’est généralement de l’innovation que naît le progrès et la croissance. En d’autres mots, la plus-value de l’activité économique. Mais de quoi parle-t-on ? Et comment la mettre en place ? Qu’est-ce que ça implique concrètement de vouloir innover ? Ces questions étaient au cœur d’un webinaire organisé le 2 juin dernier par Edenred et orchestré par Salma Haouach, éditorialiste économique pour LN24. Voici ce qu’en ont dit Pierre Hermant (CEO de Finance & Invest) et Arnaud Lesne (Directeur Innovation chez Carrefour).
Depuis le 12 mars dernier, les entreprises ont dû revoir leurs priorités ainsi que bon nombre de leur fonctionnement interne et externe. Elles ont mis le pied en terrain inconnu et ont avancé à l’aveugle. Alors que le brouillard semble commencer se dissiper, vers où se dirigent-elles ?
Sans cesse évoluer et se réinventer… L’avions-nous oublié ? Cette crise agit-elle comme une piqûre de rappel ?
Pierre : « C’est une excellente question. Je vais illustrer ma réponse par une métaphore. C’est l’histoire de deux souris qui tous les matins doivent aller chercher un morceau de fromage dans un labyrinthe, qui est toujours placé au même endroit. La première, tous les matins, fait le même rituel. Elle renifle et finit par le trouver. La deuxième qui a compris que chaque matin, le morceau de fromage est au même endroit, se dit qu’elle peut se lever peinard, qu’il ne sert à rien de vouloir se hâter car le fromage sera là. Et puis, un jour, on déplace le fromage. La souris qui a gardé l’habitude de renifler et d’être attentive finit par le trouver après quelques dizaines de secondes. La seconde, empêtrée dans sa routine, arrive sur place et, constatant qu’il n’y a plus de fromage, proteste que ce n’est pas normal et que c’est injuste. »
« Dans cette crise, ça a été la même chose. Il y a toute une série de facteurs théoriques que tout le monde connaît, mais qu’on perd de vue à force dans la réalité. Certaines entreprises ont perdu du jour au lendemain des fournisseurs qui ne pouvaient plus répondre à la demande. Parfois, le matériel était bloqué à la frontière. Il faut, comme la première souris, être en permanence capable se réorienter et se questionner. »
Pour Arnaud, « la phase dans laquelle on entre est celle de la relecture de nos business models. Les canaux de distribution ont aussi été impactés. Comme le canal digital : certaines entreprises qui n’avaient pas (encore) développé d’outils digitaux ont dû s’y mettre… en deux jours ». Ce qu’appuie également Pierre : « J’ai vu un magasin de bonbons se mettre à proposer la livraison de ses confiseries via Facebook. Le business model évolue en permanence. Je vous donne un exemple personnel : nous tenions à tout prix à toujours organiser le premier rendez-vous en face à face avec le client. Aujourd’hui, nous avons revu notre position et décidé que ce premier contact se ferait par visioconférence en 10 minutes. Il y a clairement eu un avant et un après Covid-19. »
Comment se caractérisera l’innovation de demain ? Assiste-t-on au retour d’une innovation plus simple, plus frugale ?
Pour nos deux témoins, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : nous cheminons vers un monde qui valorise la simplicité et la frugalité. « Des idées simples et revenir à des produits simples, oui. Mais attention, il faut aussi que cela se combine avec un modèle efficace », précise Pierre. « Une innovation simple est une innovation qui performe bien. Prenons pour exemple celui des profs de mes enfants : alors que certains ont envoyé jusqu’à 4-5 applications, une prof a simplement créé un groupe WhatsApp dans lequel elle racontait des histoires simples. Ce groupe a cartonné. C’était hyper efficace. Elle s’est adaptée à une nouvelle situation par un moyen simple. Souvent, les innovations trop complexes – ce que j’appelle des délires d’ingénieur – avec plein de fonctionnalités qu’on n’utilise pas, compliquent davantage la vie qu’elles ne la simplifient. A l’issue de la crise, la simplicité sera d’ailleurs une des leçons à retenir. Il ne faut pas oublier la base : comment fait-on du profit ? Par la marge et le taux de rotation du stock.
Donc, sur un business simple, on va à l’essentiel.
Un sentiment partagé par Arnaud pour qui « simplifier oui, mais avec précision et qualité. Avec la crise, Carrefour s’est adapté à l’émergence de nouveaux fournisseurs et de nouveaux produits. Mais nous n’avons pas pour autant diminué la qualité de notre service ou de nos produits ».
L’innovation sera-t-elle également plus « responsable » (tiens, un autre mot à la mode) ?
Pierre : « Avant, il y avait un équilibre entre rentabilité et risque. C’est ce qu’on dénommait la diversification. Aujourd’hui, un troisième critère s’est imposé : l’impact. Certaines entreprises ne veulent plus investir dans des domaines qui auront un impact écologique (ex. : le plastique ou le pétrole), ou optent pour des investissements ciblés, comme dans l’eau. Et puis, mentionnons également les investissements "coup de cœur", comme l’investissement dans l’éducation ou dans les EdTech (applications actives dans l’apprentissage). Oui, l’innovation va devoir intégrer le critère de la responsabilité. Arnaud profite de son expérience au sein d’un grand retailer pour confirmer le succès du local et du retour à la source : « On assiste à une réorientation de production vers des produits locaux. »
Et Pierre d’ajouter : « A l’issue d’une crise comme celle qu’on connaît, on doit être très attentif à orienter et aider certaines entreprises à aller dans le vert. Il y a trois mois, si j’avais dit à une entreprise : "vous devriez diversifier votre approvisionnement et ne pas aller qu’en Chine", on m’aurait ri au nez. Aujourd’hui, tout est bousculé. Certains vont décider que 30 à 40 % de leur approvisionnement doit venir d’Europe. Car stratégiquement, certains ont vu le modèle de leur entreprise ne plus fonctionner. »
Un dernier conseil ?
Pierre : « Lorsqu’on parle innovation, il faut prendre le temps. Chaque entrepreneur doit prendre le temps d’établir un diagnostic et de poser par écrit sa vision. C’est quelque chose qui est essentiel. Il faut faire le point sur où on est, ce qu’on veut et vers où on veut aller. Dans une crise, il faut être aligné. C’est l’essentiel. Profitons du répit pour clarifier la vision. »
Arnaud nous donne un conseil complémentaire : « Je vais être très terre à terre : ouvrez la porte au digital. Quel que soit votre secteur d’activités, poussez encore plus le digital. Il faut en mettre plus au quotidien. C’est pour moi, un des grands enseignements de la crise. »
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