L’art de la négociation (individuelle)
Notre pays est reconnu dans le monde pour être un sanctuaire de négociations permanentes. Nous sommes d’ailleurs champions en matière de négociations politiques post-électorales pour former un gouvernement. Et champion également en termes de négociations syndicales et intersectorielles. Trouver un accord, conclure une affaire est quelque chose de familier pour les Belges. Mais négocier est un art. Il y a des codes à respecter, des attitudes à avoir. Il y a aussi des manières de négocier et des comportements et mots à éviter. Négocier est aussi question de timing. Concrètement, dans la vie professionnelle, quand nous sommes confrontés à des collaborateurs qui souhaitent négocier, que pouvons-nous faire et comment régir dans l’intérêt de tous ? C’est tout le sens de cette newsletter.
Certains s’en souviennent peut-être, en 1998, le film The Negotiator (Le Négociateur en français) a été salué en son temps par la critique et le grand public, car c’est la première fois qu’un film mettait en avant les techniques utilisées par la police pour négocier avec des gangsters. Hollywood nous avait en effet plutôt habitués à des policiers qui défoncent et cassent tout pour sauver le monde. Car, et c’est là quelque chose que beaucoup de gens ignorent, négocier s’apprend comme on pourrait apprendre une langue étrangère.
La négociation n’est pas un combat de boxe
Avant toute chose, il est important de signaler que face à une demande d‘un collaborateur, il faut être binaire. Soit, il n’y a pas lieu de négocier (car la personne qui sollicite une revalorisation, par exemple, ne la mérite pas). Il faut donc lui expliquer pourquoi. Soit, la discussion peut être ouverte, mais il y a une règle d’or à respecter : « No victory for either side but a compromise for both sides », qu’on pourrait traduire par « pas de victoire pour aucun des deux camps, mais un compromis pour les deux ».
La négociation n’est pas un combat de boxe. Il ne doit y avoir ni gagnant et perdant, ni rapport de force. Cette manière de voir la négociation est totalement éloignée de la réalité, car l’objectif d’une négociation doit être que chaque personne présente autour de la table, et quelle que soit la demande, se retire en ayant l’impression d’avoir été, en partie, entendue et respectée. L’intérêt de l’employeur (représenté par le RH ou un manager) est de garder un certain cadre budgétaire ou équilibré par rapport aux autres collaborateurs, mais tout en étant attractif et en ne décourageant pas le collaborateur qu’il faut motiver ou garder motivé.
« Il y a quelques années, j’ai obtenu une augmentation après 2 ans de demande. Le DRH m’a annoncé fièrement qu’il allait m’augmenter de 50 euros bruts par mois. Cela ne faisait même pas 1 euro net par jour. J’ai décliné la proposition et lui ai dit qu’il pouvait aller au restaurant une fois par mois avec cet argent, que c’est moi qui l’invitais. Plus sérieusement, six mois plus tard, j’avais quitté la société. Je m’étais senti humilié », explique Nicolas, alors employé dans un média.
L’intérêt du collaborateur est, pour sa part, d’obtenir plus, mais il ne faut pas que ce soit disproportionné par rapport à la fonction ou aux résultats. « J’ai un jour accordé une grosse augmentation à quelqu’un qui disait le mériter et qui promettait d’atteindre des performances inégalées. Je n’étais pas convaincue, mais j’ai cédé. Il n’a jamais délivré ce que nous attendions et après lui avoir répété plusieurs fois que son salaire était top élevé pour le travail fourni, nous avons finalement décidé de nous séparer de cette personne », raconte Annick, directrice d’une société active dans le monde digital.
Valoriser l’autre
Même s’il y a toujours une part de séduction dans une négociation, que ce soit du manager vers le collaborateur ou l’inverse, la négociation n’est pas une affaire de sentiment. Elle doit être la plus objective et la plus argumentée possible afin de pouvoir se justifier par ailleurs. Comment expliquer par exemple à un employé que son collègue direct, qui fait le même travail, a été augmenté de X% alors que lui-même ne l’a jamais été, sans créer des frustrations ? Objective donc, et empathique. Il est essentiel de se mettre à la place de l’autre pour plusieurs raisons. Essayer de comprendre le point de vue de l’autre permettra de n’avoir envers lui aucune attitude humiliante ou condescendante. Lors d’une négociation, il n’est pas demandé aux parties de renoncer à leur point de vue, mais bien que chaque partie ait la conviction que le point de vue de l’autre est aussi important que le sien, même si on ne le partage pas. On prendra donc aussi en compte l’impact psychologique des décisions qui sont sur la table. Toujours se poser la question : quel est l’impact sur l’autre ? Est-ce ok pour lui ? Dans une négociation, on avance à deux vers un objectif commun : tomber d’accord.
Le pouvoir du silence
Il y a bien sûr des techniques très précises de négociation. La plus forte : toujours écouter l’autre en premier jusqu’au moment où il n’a plus rien à dire. En écoutant quelqu’un, non seulement on le valorise en lui accordant toute son attention, mais on va recevoir un maximum d’informations que nous allons pouvoir analyser et contre-argumenter ou valider.
Certains managers ou RH pensent qu’il faut toujours prendre la parole en premier pour garder le lead et mener le jeu. Cela ne nous semble vrai qu’en une seule circonstance, le licenciement. C’est la seule circonstance où il faut y aller d’entrée de jeu, car de toute façon, il n’y a plus rien à dire ou à faire derrière. En négociation, écouter est précieux. Tout comme savoir se taire, car le silence permet à chacun de respirer et de prendre le temps de réfléchir à ce qui est mis sur la table. Pour rappel, négocier n’est pas arracher in extremis un accord qui risque d’être rediscuté rapidement. Négocier avec un collaborateur, c’est l’inscrire pleinement dans la logique de l’entreprise dont vous êtes le premier ambassadeur pour le convaincre de le devenir également.
Une négo, ça se prépare
Une négociation, ce n’est pas un moment où « on verra comment ça se déroule et on fera en fonction ». Une négociation est une occasion privilégiée d’instaurer un contrat de confiance, quel que que soit le résultat. Pour cela, il faut se préparer au mieux : physiquement (en étant en forme et lucide, on ne négocie pas au restaurant après 3 verres de vin), et professionnellement, en ayant bien préparé le fond.
Pour comprendre l’autre, se mettre à sa place et le respecter, il faut le connaître. Il faut savoir qui il est, ce qu’il fait, comment il travaille, ce que ses collaborateurs ou supérieurs pensent… Un dossier de négociation doit être préparé. Il peut également contenir des informations sur les autres collaborateurs de même rang (salaire, ancienneté, avantages divers…) qui vous permettront à chaque instant de démontrer que votre démarche et vos arguments sont sincères et justes. Une négo se prépare et, évidemment, quand on négocie, on ne fait que cela. On ne le fait pas « vite vite » dans un e-mail, ou « vite vite » dans un coup de téléphone.
Négocier, une histoire de timing
Pour réussir une négociation, il est important de tenir compte également du bon timing. Certes, certains moments de l’année seront plus propices à négocier (après un bilan comptable, quand on a une vision claire des finances, après des chiffres de vente…). Mais c’est surtout sur le timing au moment de l’offre que nous insistons. C’est le moment où, en tant que RH ou manager, vous allez proposer ce qui vous semble être une réponse à la demande de l’autre partie.
Deux règles d’or :
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Ne jamais formuler son offre trop rapidement, car l’autre partie pourrait penser que vous n’avez pas écouté ses arguments et que vous aviez une offre figée.
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Amener une offre adaptable, mais assez proche de la réalité. La première « offre » sera toujours perçue comme le point de référence auquel on reviendra et dont on aura du mal à se détacher par la suite.
« Nous souhaitions engager une nouvelle collaboratrice dans notre département de communication », nous explique David, responsable communication dans une société de services. « D’entrée de jeu, elle annonce qu’elle souhaite 1 000 euros bruts de plus que ce que nous étions prêts à lui offrir. Le décalage était tellement énorme que ce gap n’aurait jamais pu être résorbé. En discutant en toute transparence par la suite, elle m’a confié sa vrie attente salariale, et on aurait pu trouver un terrain d’entente. Au lieu de construire une négociation alors que nous voulions toutes les deux travailler ensemble, elle l’a étouffée en 2 minutes ».
Parler le même langage
Les personnes différentes sont complémentaires. C’est même ce qui fait la beauté des relations humaines. Oui, mais… lors d’une négociation, il est absolument vital de parler le même langage. Il faut que les mots utilisés aient le même sens et que les personnes engagées se comprennent. Pour cela, n’hésitez pas à reformuler. Vous vous assurez ainsi que tout le monde se comprend et entend l’autre point de vue. Adopter le vocabulaire de l’autre est une bonne manière d’y arriver. Votre collaborateur parle de confiance, de fiabilité et de respect, reprenez ses termes. Il met en avant l’aspect compétitif ou financier, faites de même. Se mettre au diapason de l’autre, c’est aussi pouvoir adopter en mimétisme sa manière de parler. Il parle calmement et en respirant après chaque phrase, laissez-lui son rythme. Se caler sur le débit de l’autre lui permettra de se sentir plus à l’aise.
N’oubliez jamais que si vous êtes rompu aux négociations et avez l’habitude d’en avoir quelques-unes chaque mois, pour lui, ce moment n’arrive qu’une fois tous les 2/3 ans. Il doit donc ressentir que vous vous comprenez et que vous mesurez les enjeux qu’il met sur la table. Cette synchronisation peut aussi être gestuelle. Soyez tous les deux assis ou tous les deux debout. Et si vous adoptez une attitude physique proche, ne tombez pas dans la caricature, ce qui serait ressenti comme extrêmement violent et irrespectueux et mettrait fin à la négociation.