Back to business
Jamais un printemps au travail n’aura autant été synonyme de renouveau. Fini les masques, le télétravail obligatoire et, dans certaines entreprises, la distanciation sociale. Nous pouvons retourner au travail sans trop penser au Covid. Mais sans naïveté non plus.
Le retour au travail est un sujet complexe que nous avons déjà partagé avec vous, il y a un peu. Nous y parlions alors du sens à redonner, des peurs que certains avaient ou encore du « bagage Covid » (différent pour chacun) que nous allions devoir porter. La première tentative de reprise du mois de septembre a été suivie d’une quatrième vague qui nous a, à nouveau, isolés.
En ce mois de mars, c’est différent. Le Covid s’est épuisé et beaucoup de craintes sont parties. La fin du Covid Safe Ticket, du port des masques, le retour des spectacles et des boîtes de nuit. Beaucoup de Belges envisagent ce retour comme une libération.
Mais ce retour n’est pas synonyme de reprise de la vie d’avant. Certaines questions restent en effet en suspens. Certaines habitudes doivent être repensées. Il va falloir définir tous ensemble (collaborateurs, entreprises, RH) ce « nouveau normal ».
Repenser le rapport à l’efficacité
Avant le Covid, certaines entreprises refusaient le télétravail, car il était, à leurs yeux, synonyme de moins de performance. La logique était : « Un employé à la maison sur lequel on n’a pas de contrôle pourrait être tenté de travailler moins. »
Le coronavirus a obligé de très nombreuses entreprises à franchir le pas et le constat est sans appel. Les salariés à distance travaillent plus que quand ils sont sur leurs lieux de travail. Des chercheurs américains (de la Harvard Business School et de la New York University) ont même chiffré ce supplément. Selon eux, les salariés en télétravail seraient plus productifs qu'en présentiel : en moyenne 48,5 minutes de plus par jour. Soit plus de 4 heures supplémentaires hebdomadaires.
En télétravail, on a souvent tendance à être efficace, à aller à l’essentiel et on a, finalement, peu de distractions. Pas de collègues pour venir dire bonjour, pas de réunions à l’autre bout de l’entreprise, pas de small talk près de la machine à café…
Avec le retour en présentiel, nous devons accepter que le travail ne soit pas qu’efficacité. Nous devons accepter qu’il y ait un autre temps, parfois plus lent et dont l’objectif n’est pas la performance. Pour certains, il faudra donc combattre le syndrome de perte de temps, de manque d’efficacité, de n’avoir pas assez fait sur sa journée.
Un casse-tête, la gestion des mails
Il y a une dizaine d’années, sont apparus les premiers mugs « I Survived Another Meeting That Should Have Been an Email » pour dénoncer ces réunions où nous sommes invités et où on perd son temps. La pandémie a en partie résolu le problème puisque nous faisons aujourd’hui des meetings moins longs (de l’ordre de 20 %) alors que le nombre de mails a, lui, augmenté (de l’ordre de 5 %).
Le retour en présentiel, les réunions physiques, le travail en équipe… ne permettront probablement plus de gérer ses mails de la même façon. Le plaisir d’avoir une boîte mail quasi à jour ne se retrouvera peut-être plus tout de suite. Pour ne pas être dépassé par le nombre de mails « non lus », il y a quatre choses à faire dès que possible :
- Bloquer quotidiennement dans son agenda un temps pour traiter ses mails.
- Partir à la chasse aux mails commerciaux qu’on n’ouvre jamais et qui polluent la boîte, la remplissent, mais n’apportent pas vraiment de plus-value.
- Classer ses mails. Le classement peut se faire en fonction des destinataires, des clients ou bien en fonction du degré d’urgence et de la date de réponse attendue.
- Donner à ses emails des objets efficaces et adéquats.
Attention aux mines
Le monde du travail est à l’image de notre société. Certains collègues s’apprécient et se respectent profondément. D’autres ont plus de mal à travailler ensemble. Le retour au bureau va donc s’accompagner de certaines tensions que le télétravail avait mises de côté.
Dans cette optique, il est important de faire attention aux mines qui se trouvent parfois sur notre route professionnelle et sur celle de nos collaborateurs.
Arnaud Roisin est conflict solver[1] en entreprise et a pour mission de résoudre les conflits entre les collaborateurs afin de retrouver harmonie et performance au sein de l’équipe. Selon lui, le retour en présentiel est un moment « délicat » pour les entreprises. « Il y a des risques de conflit au niveau de l’entreprise, au niveau de l’équipe et au niveau individuel. » Premièrement, avec un turn-over de plus de 15 % ces deux dernières années, certaines entreprises ont donc 30 % de nouveaux collaborateurs depuis le début de la crise sanitaire. Peu d’entre eux ont pu se frotter à la culture d’entreprise qui se vit en présentiel. Les ressources humaines vont donc devoir veiller à ce que les nouvelles recrues adhèrent parfaitement aux valeurs et adoptent aussi les codes de la société.
Partager les codes
Autre risque, le vivre-ensemble et le partage de l’espace. « Nous n’avons plus l’habitude de travailler tous les jours avec des collègues en les côtoyant vraiment 8 heures par jour.
Ce qui fonctionne par écran interposé lors de réunions Teams ou Zoom et où le processus de langage est défini (chacun parle à son tour et les autres le regardent et l’écoutent), ne va pas spontanément fonctionner en présentiel car il ne suffira pas de baisser l’écran de son ordinateur pour ne plus voir ses collègues. »
Enfin, Arnaud Roisin insiste sur les codes à partager et à recevoir. « Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous admettrons tous que certaines mauvaises habitudes ont été prises durant le télétravail. Manger devant son ordinateur, écouter de la musique, enlever ses chaussures pour travailler, vite partir faire une course ou lancer une lessive. En open space ou dans un bureau, il y a les limites de la vie en groupe, certains risquent de vite être agacés par les habitudes ou aisances de leurs collègues. »
Ré-onboarding
Le partage de codes, c’est aussi être capable de partager l’esprit d’entreprise. Comme nous venons de l’écrire, 30% de nos collaborateurs n’ont connu l’entreprise que « sous Covid ». Avant le Covid, plusieurs experts de l’onboarding comme Derven (2008) affirmait que l’onboarding devait respecter quatre phases :
- La pré-arrivée
- L’accueil des nouvelles recrues
- La formation spécifique au rôle
- La transition vers le nouveau rôle
En période de Covid, ces phases ont été bousculées ou parfois totalement zappées. Lors de leur engagement, certains ont eu la chance d’être accueillis à bord. Mais pour d’autres, l’arrivée dans l’entreprise n’a pas pu se faire dans les meilleures conditions. « A mon arrivée, le premier jour, il n’y avait personne à l’accueil. J’ai dû attendre un agent d’entretien pour passer. Je me suis retrouvée toute seule dans un énorme bâtiment aux couloirs vides. La personne censée me recevoir a finalement annulé, car un de ses enfants était cas contact. Je me réjouissais de changer de boulot. Avec l’impression de ce premier jour, j’ai vécu un sentiment de vide qui m’a accompagné des mois » explique Charlotte, fonctionnaire fédérale.
Parfois même, les nouvelles recrues sont apparues sur les écrans des réunions Teams et Zoom du jour au lendemain, sans réelles explications. Ce retour en présentiel est peut-être une occasion unique de faire un réel onboarding (ou réonboarding) de toutes les personnes engagées ces deux dernières années. L’occasion d’une visite de bâtiment, d’un lunch convivial entre collègues et même d’un welcome pack dans lequel on ne mettra ni gel hydroalcoolique, ni masque.
[1] Arnaud Roisin : www.conflict-resolution.be