« Quand un collaborateur est absent une semaine, nous lui envoyons un petit cadeau ».
Les chiffres de l’absentéisme en Belgique ne sont pas encourageants. La tendance est en hausse d’année en année. Une mauvaise nouvelle pour les sociétés, car l’absentéisme a des conséquences concrètes. Financières et organisationnelles. Nous faisons le point sur ce vrai problème de ressources humaines. Avec aussi un espoir : l’absentéisme n’est pas une fatalité.
L’année 2021 était déjà un record en termes d’absentéisme (absence sur le lieu de travail de moins de 30 jours). 2022 est encore moins bonne. Les chiffres sont, en effet, connus depuis quelques semaines. En moyenne, le travailleur belge a une absence de 7,5 jours. C’est un jour de plus qu’en 2021.
Inquiétant également, les chiffres concernant le pourcentage de la population active qui est restée au moins un jour par mois à la maison pour cause de maladie : 1 sur 7, contre 1 sur 8 en 2021, et 1 sur 10 en 2019.
Dans son rapport annuel publié mi-janvier 2023, Acerta signale par ailleurs que l’absentéisme est constaté « dans tous les secteurs, toutes catégories d’âge confondues, chez les ouvriers et les employés, et dans les grandes comme dans les petites entreprises ».
Une hausse qui s’explique
Cette tendance a forcément des causes. Xavier (prénom d’emprunt) est psychologue clinicien spécialisé sur le monde du travail. Pour lui, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce qui se passe depuis quelques années. « Il y a tout d’abord un environnement du travail qui est pressurisant. C’est une réalité. La souffrance dans certains milieux professionnels est réelle. Il y a ensuite un effet post-Covid qui a, de manière générale, augmenté la fragilité de certains profils. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avance un chiffre inquiétant. Les cas d’anxiété et de dépression sont en hausse de 25 % dans le monde. Enfin, il y a, à mes yeux, autre chose, et c’est la raison pour laquelle je partage mon point de vue de manière anonyme. Un autre aspect peut être mis en avant également, même s’il ne faut pas croire qu’il est l’élément le plus important de l’absentéisme, c’est la facilité avec laquelle il est possible d’être absent un ou deux jours dans notre pays. Il suffit de téléphoner le matin pour dire que nous ne sommes pas en forme ».
Deux autres causes peuvent être avancées pour expliquer la montée de l’absentéisme : la mauvaise santé globale de la population (soucis d’alimentation, manque de sport…) et l’environnement familial (garde d’enfants, divorce, séparation, difficulté à gérer les tâches du quotidien…).
Plusieurs types d’absentéisme
Saviez-vous que l’absentéisme est coloré ? C’est en tout cas par l’attribution de couleurs que l’on parvient à différencier les différents types d’absentéisme en entreprise.
- La situation la plus simple à comprendre est celle de l’absentéisme blanc. Le collaborateur est malade, ce qui est constaté par un médecin qui délivre alors un certificat médical. Le collaborateur reste chez lui le temps de la convalescence. 30 % de l’absentéisme est de ce type.
- Simple à comprendre également : l’absentéisme noir. Le collaborateur n’est pas malade, mais reste chez lui en se prétextant souffrant. C’est clairement une fraude. 10 % de l’absentéisme est de cette couleur.
- L’absentéisme rose est le contraire du noir. Le collaborateur est malade, mais vient travailler. Jusqu’il y a peu, cette situation n’était pas toujours mal perçue. Le coronavirus a totalement changé la perception de ce type d’absentéisme, puisqu’il a prouvé qu’un travailleur malade pouvait contaminer d’autres collègues, créant ainsi une chaîne de virus pouvant impacter largement la société. Le mot d’ordre des RH, aujourd’hui, est très clair : quelqu’un de malade reste à la maison. Environ 5 % des absences sont roses.
- L’absentéisme gris définit un absentéisme qui laisse une marge de manœuvre et de décision au collaborateur. Il peut se sentir moins bien ou mal (maux d’estomac, de tête, règles douloureuses, fatigue…), mais n’est pas forcément malade et en incapacité de travail. Il prendra la décision, avec ou sans son médecin, de se faire porter pâle. Cet absentéisme représente entre 55 % des absences.
Connaissez-vous le facteur de Bradford ?
Pour calculer le taux d’absentéisme en entreprise, pas besoin d’être un mathématicien chevronné. Voici la formule : (Nombre d’heures d’absence sur la période / Nombre d’heures de travail théorique sur la période) X 100. Par exemple, j’ai été absent 3 heures cette semaine alors que je suis censé travailler 38 heures. 3/38X100 = 7,8. Mon taux d’absentéisme, cette semaine, est de 7,8%.
La formule est la même pour une analyse collective. Soit le nombre total d’heures d’absence pour tous les salariés pour telle période, divisé par le nombre total d’heures de travail théorique pour tous les salariés sur telle période, fois 100.
Cette approche est intéressante, mais pas suffisante. C’est la raison pour laquelle, dans les années 80, l’idée de prendre en compte non seulement le nombre de jours de maladie, mais aussi la fréquence des maladies, s’est imposée à des chercheurs de l’Université de Bradford, en Angleterre.
Cette approche permet de mettre en avant des moments où l’entreprise fait face à des absences significatives. Que ce soit collectivement ou individuellement.
On calcule alors le nombre total de jours de maladie multiplié par le carré du nombre de notifications de maladie.
Voici un exemple concret : Yassine et Linda ont été absents 15 jours en 2022.Yassine l’a été en une seule fois. Linda l’a été en 3 fois. Yassine a un facteur de Bradford de 15 (15x1 au carré) contre 135 pour Linda (15x9).
Le facteur de Bradford est intéressant pour comprendre les absences de courtes durées, ces absences qui désorganisent davantage l’entreprise que les absences plus longues. Il permet, par exemple, de constater que tel collaborateur est systématiquement absent un lundi sur deux. Ou que dans tel département, le vendredi est un jour où la moitié des collaborateurs manquent à l’appel régulièrement.
Les conséquences concrètes de l’absentéisme
Gérer les ressources humaines n’est pas une tâche aisée en 2023. Et ça l’est encore moins avec les chiffres de l’absentéisme dans notre pays. Ils ne sont pas très encourageants.
D’un point de vue financier, c’est d’ailleurs un réel souci. La perte est tout simplement colossale. L’absentéisme coûte, en effet, 8.44 milliards d’euros en Belgique chaque année.
Il y a d’abord les coûts directs associés aux salaires garantis, aux assurances… Mais il y a aussi les coûts indirects tels un remplacement, les problèmes de production, les annulations de rendez-vous client, les retards de livraison…
Autre conséquence concrète : la surcharge de travail (et de stress), par un effet de domino, sur d’autres collaborateurs qui risquent, à leurs tours, de tomber malades.
L’absentéisme est donc un vrai sujet qui mérite une politique concrète. Oui, mais comment ?
Comment le combattre et le prévenir ?
Le combat contre l’absentéisme peut se faire sur deux fronts.
Le premier est celui de la répression. S’il ne faut pas, évidemment, culpabiliser un collaborateur malade, il est essentiel de garder à l’esprit que tous les collaborateurs ne sont pas toujours parés des meilleures intentions. L’absentéisme noir est une réalité (10% des absences). En cas de soupçon de fraude, il faut envoyer un médecin-contrôleur.
Le second est celui de la prévention. Et si, dans une société humaine qui va mal et qui se pose beaucoup de questions sur le futur, l’entreprise devenait une source de bien-être ? C’est même probablement la meilleure option.
Il faut instaurer une politique sur plusieurs sujets clés qui vont permettre ce bien-être. Qu’en est-il du sport ? De la surveillance de la santé ? De la sécurité ? Des relations interpersonnelles (agressions, harcèlement…) ? Qu’en est-il du droit à la déconnexion ? Et de l’environnement de travail dans son ensemble ? Qu’en est-il de la communication interne ? Et des dialogues sociaux ? Enfin, qu’en est-il de la politique salariale et de la reconnaissance envers les salariés ?
Prévenir l’absentéisme passe d’abord par des politiques claires dans tous ces domaines. C’est là que se mènent les premiers combats.
Autre piste ? S’entourer d’intermédiaires. Certaines entreprises ont, par exemple, nommé des personnes de confiance, des personnes qui ne représentent ni le management ni le monde syndical, mais qui sont les yeux sereins des collaborateurs. Leur fonction ? Partager certains ressentis sur des situations où ils constatent que tel ou tel collègue va moins bien. L’objectif est d’encourager la bienveillance et la solidarité.
Des gestes concrets
Enfin, pour combattre l’absentéisme, il suffit parfois de gestes simples, mais concrets.
Sophie, RH dans une PME confie : « Quand un salarié est malade pour une semaine, nous avons une politique très simple et pas très coûteuse. Il reçoit systématiquement quelque chose à la maison. Un livre, un mug, un plaid. En tout cas, quelque chose qui est en rapport avec le fait de se reposer. Ce petit cadeau est accompagné d’une carte. Quand l’absence est de deux semaines ou plus, nous organisons toujours un petit drink de retour ou un petit-déjeuner d’équipe. Ça permet de partager de manière informelle autour d’un verre ou d’un croissant quelques points intéressants. Et ça permet aussi de créer du lien, ce qui est, à mes yeux, un élément important pour prévenir l’absentéisme. Compter pour quelqu’un nous rend plus forts ».
Dans ce contexte de contact entre l’absent et l’entreprise, il est aussi fortement encouragé de ne pas interférer pendant la maladie. Un manager ne doit pas amener (via sms, mail ou téléphone) du travail auprès de celui qui se repose. Si l’intention peut paraître bonne (tenir au courant l’absent de l’évolution de tel ou tel dossier), il y a de fortes probabilités que cette démarche soit vécue comme un stress supplémentaire, voire une intrusion dans la sphère privée.
Si contact il doit y avoir, il doit être uniquement centré sur le rétablissement et l’envie de revoir celle ou celui qui n’est pas là. Et qui, peut-être, manque.