Prendre soin et re-créer du lien
Longtemps ignorée des plans de communication ou des thématiques majeures des sociétés, la santé mentale est depuis quelques années au centre des attentions des départements RH. On parle d’ailleurs aujourd’hui d’investissement dans la santé mentale, comme on parle d’investissement financier. Et la crise de la Covid-19 rappelle d’autant plus cette réalité.
« Cela a commencé quelques semaines après la première vague de la Covid-19. Le télétravail, le manque de liens sociaux avec mes collègues, l’obligation d’être chez soi avec les enfants dans les pattes, le manque de retour sur mon travail... J’ai eu un vrai gros passage à vide » confie Veerle, manager dans une société située à Bruxelles, que nous avions déjà interrogée en avril sur le management à distance.
En revanche, pour Arnaud, salarié namurois (également témoin dans notre OpenSpace d’avril), la première vague a été plutôt bénéfique. « Cela m’a permis de me recentrer sur l’essentiel et de freiner un peu. Par contre, depuis septembre, j’ai vraiment du mal. On pensait qu’on en était sorti, puis le confinement d’octobre a mis en lumière chez moi beaucoup de questionnements sur mon travail et le sens que je lui donne. C’est bien simple, je suis en congé maladie pour burn-out. »
Burn-out, passage à vide, dépression, blues, mal-être, spleen, fatigue, déprime, découragement…, les mots ne manquent pas pour évoquer cette sensation d’écrasement et de découragement qui nous submerge parfois face aux tâches qui s’enchaînent dans notre travail. Cette incapacité à être totalement opérationnel comme on le voudrait. Ce sentiment d’impuissance plus fort que nous. On ne se sent pas complètement mal. Mais on ne va pas totalement bien non plus.
Des chiffres en réelle augmentation
La Constitution de l’OMS définit la santé comme : « Un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition a pour important corollaire que la santé mentale est davantage que l’absence de troubles ou de handicaps mentaux.
En décembre 2020, lors du pic de la deuxième vague, Sciensano a publié des chiffres qui montrent une détérioration de la santé mentale des Belges au cours des mois précédents. Parmi les 18 ans et plus, 64 % ne sont pas satisfaits de leurs contacts sociaux, presque un doublement de ce pourcentage par rapport à septembre 2020. Et 40 % ressentent peu de soutien social, avec une augmentation de presque un tiers depuis l’été 2020. Les troubles de l’anxiété et les troubles dépressifs suivent une évolution en U. En juin 2020, 22 % de la population environ fait état d’un de ces troubles. Et de nouvelles catégories de personnes relativement épargnées remplissent aujourd’hui les cabinets de consultation. Les travailleurs en font partie, comme Veerle et Arnaud.
Un frein à la relance et un réel coût
Selon le Bureau fédéral du Plan, les problèmes de santé mentale en entreprises freinent le potentiel de croissance de l'emploi et de la productivité, et génèrent même des coûts économiques directs sous la forme de dépenses de revenus de remplacement et de soins de santé. Ces coûts économiques sont également à charge des entreprises puisqu’une personne absente doit être remplacée. Il faut former son remplaçant, prendre du temps pour l’intégrer dans les équipes…, sans compter les démarches administratives que cela engendre. La société de consultance Deloitte a réalisé une étude en 2018 auprès d’une centaine d’entreprises canadiennes. Les résultats sont sans appel : 100 % des sociétés qui avaient investi dans une politique de santé mentale ont un retour sur investissement positif, même si cela prend parfois quatre ou cinq ans.
A quoi faire attention ?
Une politique de santé mentale ne peut réellement aller jusqu’au bout de son bien-fondé si l’entreprise est capable d’identifier ceux qui souffrent sur leur lieu de travail. C’est probablement la tâche la plus complexe, d’une part car la santé mentale est « invisible » (contrairement à un handicap physique par exemple), et d’autre part car on pense souvent qu’on est soit sain d’esprit, soit fou. Alors que la zone grise de l’entre deux est gigantesque.
Il y a cependant certains signaux qui peuvent servir d’alerte.
- Le premier est le trouble de l’humeur. Quelqu’un qui devient irritable, agressif, de mauvaise humeur alors qu’il a toujours été joyeux est un signe de fragilité. Lorsque ces changements d’humeur sont nombreux, fréquents et excessifs (grande joie, grande peine), il peut s’agir d’une pathologie (bipolarité).
- Il y a aussi les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) caractérisés par l'apparition répétée de pensées ou de comportements produisant de l'inconfort, de l’inquiétude ou de la peur.
- Les troubles du comportement alimentaire sont également à suivre (prise de poids ou perte de poids très rapide, par exemple).
- Les addictions (alcool, tabac, drogue…) sont généralement un bon baromètre de l’état mental des personnes.
Parfois, les comportements sont plus excessifs.
C’est le cas de la paranoïa, par exemple. Pour rappel, elle se manifeste par une méfiance exagérée des autres, une sensation de menace permanente et un sentiment de persécution.
C’est également le cas de la schizophrénie qui se manifeste, elle, par « une altération du processus sensoriel (les hallucinations) et du fonctionnement de la pensée (délire, par exemple) ».
Quelles pistes d’action ?
La complexité de la mise en place d’une politique de santé mentale en entreprise réside dans le fait que, comme mentionné plus haut, nous naviguons à l’aveugle.
C’est la raison pour laquelle la première action à faire en termes de stratégie de santé mentale en entreprise, est de communiquer. Les campagnes de sensibilisation et les activités en milieu de travail ont en effet deux grands avantages. Elles permettent, d’une part, de « détecter » qui ne va pas bien, malgré sa présence au poste, et, d’autre part, de faire prendre conscience aux collaborateurs qu’ils ne sont pas seuls face à leurs angoisses, soucis…
La deuxième action est la formation des managers et des employés à cette problématique. Tous, à moyen terme, doivent savoir de quoi on parle. La création d’une cellule Santé mentale (par exemple avec un psychologue à disposition en externe ou en interne) est une troisième action possible. De manière générale, une bonne stratégie passera aussi par l’octroi d’avantages sociaux offerts aux travailleurs et à leur famille en matière de soins psychologiques et offre de soutien.
Des mesures d’accommodement individuel ou collectif (flexibilité des horaires, par exemple) sont une autre option, tout comme une politique standard pour l’atténuation des risques. Certaines entreprises prennent également en charge les coûts des médicaments qui traitent les troubles de santé mentale. Autant d’options qui permettent de reprendre soin de nos ressources humaines.
Des bénéfices cachés
Investir dans la santé mentale offre, outre un accroissement du bien-être et un avantage financier, certains bénéfices cachés. Le premier : l’engagement des collaborateurs est renforcé. C’est ce qu’a démontré l’enquête de Deloitte, un engagement renforcé auprès de l’entreprise, mais aussi entre collègues.
On notera d’ailleurs que les témoignages personnels (surtout de la part des dirigeants) visant à réduire la stigmatisation liée à la santé mentale jouent un rôle majeur dans l’instauration d’une culture qui encourage les employés à obtenir de l’aide en cas de besoin et à être solidaires. Autre bénéfice : l’attraction de talents. Il est ainsi prouvé qu’une « organisation reconnue au sein d’un secteur et à l’échelle nationale comme étant une organisation offrant un milieu de travail axé sur la santé et la sécurité psychologiques est en mesure d’attirer des talents de haut niveau ». Il n’y a plus aucune raison à présent de ne pas faire de 2021 une année axée sur la santé mentale.