Négocier comme un pro
En mars 2023, un conflit social d’une ampleur rarement vue éclate dans tout le pays. Un groupe de grande distribution vient d’annoncer sa volonté de franchiser ses 128 magasins intégrés. Ce conflit a duré des mois et permet de tirer quelques leçons sur les négociations.
Une chose est sûre : le Belge a le syndicat dans la peau. Le taux d’affiliation à un syndicat dans notre pays s’élève en effet à 49 %. Et, combattons un préjugé persistant : non, il n’y a pas de différence entre la Flandre, la Wallonie ou Bruxelles. Dans les pays limitrophes, les chiffres sont bien inférieurs. Aux Pays-Bas, 15 % de la population active est syndiquée, et, en France 8 %. Cette situation fait de la Belgique une exception dans le monde, puisque seuls les pays du Nord de l’Europe (Suède, Finlande, Norvège, Islande) nous dépassent en termes de syndicalisation.
Face à ce constat, on comprend à quel point l’enjeu des négociations entre syndicats et direction est crucial dans notre pays.
Comment négocier avec les syndicats ?
On connaît tous l’adage, « nous ne sommes d’accord sur rien, tant que nous ne sommes pas d’accord sur tout ». Un adage qui s’applique particulièrement bien aux négociations qui se jouent parfois entre les directions et les syndicats. Mais comment négocier, justement ?
Voici quelques conseils de base :
1/ Connaissez vos limites
Avant de commencer une négociation, il est essentiel de savoir ce qu’on peut dire, accepter, concéder… Il faut, le cas échéant, avoir un accord de la direction sur tout ce qui peut être discuté. Il n’y a rien de pire que de revenir sur ses engagements après une négociation. Non seulement, ça décrédibilise toute votre démarche (et vos paroles), mais ça installe une méfiance inutile.
2/ Connaissez votre interlocuteur
On ne part pas au combat sans savoir qui on affronte. C’est valable en sport, et aussi en négociation. Il est essentiel de connaître les demandes et les exigences de la partie adverse. Cela permet de savoir d’où on part, et donc, de mieux appréhender où on va.
Connaître la partie adverse, c’est aussi savoir qui sera autour de la table. Certaines personnalités sont plus compliquées ou plus faciles que d’autres.
3/ Ecoutez et laissez parler
Dans une négociation syndicale, il y a souvent des rapports de force qui essaient de s’installer. Avant toute chose, il est important de laisser parler l’autre pour savoir exactement ce qu’il attend, et pour lui permettre de se sentir à l’aise et pris en considération. Il n’y a rien de pire qu’un dialogue de sourds où chacun essaie d’exposer son point de vue sans tenir compte de celui de l’autre.
4/ Reformulez
Combien de négociations échouent parce qu’on « ne s’est pas compris, il y a eu un malentendu » ? Pour éviter les phrases telles : « Ce n’est pas ce que j’ai dit », « On n’a jamais parlé de ça », « Ce n’était pas une priorité, mais un exemple » … N’hésitez pas à reformuler les propos de l’autre. « Si je vous comprends bien, vous êtes en train de me dire que… ». Reformuler permet d’être sûr que tout a été bien compris par tout le monde.
5/ Faites des pauses
Passer des nuits à négocier pour aboutir à un accord juste avant l’échéance fait partie de notre culture politique et patronale. C’est d’ailleurs cette méthode qu’a utilisé dans les années 80 le premier ministre belge Wilfried Martens pour négocier avec les syndicats et les banques la dévaluation du franc belge. Un groupe de 4 personnes appelé « groupe de Poupehan » qui a négocié en un week-end, au finish.
Cette manière de faire est une exception typiquement belge, et est liée au caractère unique de notre pays peu homogène linguistiquement, politiquement et syndicalement. La croyance veut donc que ce qui est négocié, même à l’arraché, est d’office une victoire. Dans les autres pays, les négociations ne se font pas de la même manière. Et nous avons peut-être des choses à apprendre de ce qui se fait ailleurs. Il est important, dans toute négociation, de faire des pauses pour se donner du temps de bien analyser ce qui est sur la table. Là aussi, ça permet d’éviter l’impression d’avoir dû accepter une demande sous pression.
La stratégie des pros
Il existe de très nombreux livres cursus universitaires ou encore conférences pour apprendre à « mieux négocier », quel que soit le côté de la table où l’on se trouve. Le mois dernier, la prestigieuse université d’Harvard a publié une réflexion très intéressante sur les « compétences de négociations ». Après de nombreuses analyses et enquêtes, elle a compilé les meilleures stratégies de négociations à ses yeux.
Voici 5 conseils très pratiques qu’elle encourage à appliquer.
1/ Connaissez votre BATNA.
Le BATNA, késako ? Il s’agit de l’acronyme de Best Alternative To a Negotiated Agreement. En français, « la meilleure alternative à un accord négocié ». Concrètement, il est recommandé, avant de s’asseoir à une table de négociation, d’avoir identifié l’alternative la plus avantageuse que vous pouvez adopter si les négociations échouent, et qu’un accord ne peut être conclu directement. Cela vous permet de ne pas perdre la face, mais surtout, d’arriver, le cas échéant, à tout de même voir s’arrêter un conflit en entreprise, le temps que les négociations reprennent.
2/ Négociez le processus.
Avant de s’asseoir à la table des négociations, il est important de définir avec l’autre partie comment les négociations vont se dérouler : de quoi on va parler, où, avec qui, quand… Définir clairement la procédure permettra des conversations beaucoup plus ciblées.
3/ Soyez conscient du biais d’ancrage.
De nombreuses recherches montrent que le premier chiffre mentionné dans une négociation, aussi arbitraire soit-il, exerce une influence puissante sur la négociation qui suit. Vous pouvez éviter d’être la prochaine victime du biais d’ancrage en faisant la ou les premières offres, et en essayant d’ancrer les discussions dans la direction que vous préférez. Annoncer une demande d’augmentation salariale de 6 % ou 20 % va créer un biais d’ancrage très différent.
4/ Recherchez des compromis.
Négocier, c’est forcément céder. Sinon, il n’y aurait pas de demandes, de conflits ou de tensions, et tout le monde serait heureux dans le meilleur des mondes. Mais une concession n’est pas l’autre. En identifiant les problèmes qui intéressent profondément votre homologue, et qui comptent moins à vos yeux, vous pouvez lui proposer une concession sur cette question en échange d'une concession de sa part sur une question qui vous tient plus à cœur. Ce sont des compromis intelligents, réciproques et constructifs.
5/ Présentez simultanément plusieurs offres
Plutôt que de faire une offre à la fois, pensez à présenter plusieurs offres. Cela permet de créer un biais également, et un espace dans lequel votre interlocuteur aura l’impression de choisir ce dont il a besoin, alors que vous avez déposé toutes les options. Si votre interlocuteur rejette toutes les offres, demandez-lui de vous expliquer laquelle il préfère, et pourquoi. Cette stratégie consistant à présenter plusieurs offres simultanément réduit les risques d’impasse et peut amener des solutions plus créatives.
Et en cas de crise, on fait quoi ?
Parfois, de grandes crises s’invitent dans l’entreprise, comme des tensions, des arrêts de travail ou des grèves. Alors, on fait quoi ?
En-dehors de tout ce qui a déjà été écrit et qui concerne la phase de négociation, il y a d’autres paramètres à prendre en compte.
Par exemple, faire appel à une aide externe qui accompagnera les personnes autour de la table afin de trouver une solution.
Généralement, il y a deux options possibles : une médiation ou une conciliation. Si le processus est assez identique dans sa manière de faire, à savoir, réunir autour de la table les parties en litige afin de trouver une solution sans passer par la justice, il y a une différence notable. La médiation est le processus où un tiers aide les parties en conflit à trouver une solution par elles-mêmes, alors qu’une conciliation est un processus où un tiers, après écoute des doléances respectives, propose une solution aux parties, qui peuvent décider de la refuser ou de l’accepter.
Ces deux processus sont importants, car ils permettent de désamorcer le conflit, ce qui est l’objectif de toute négociation.
Une relation apaisée entre la direction et les syndicats permet à la société d’avancer plus vite et de manière plus confiante. C’est tout l’intérêt d’une négociation réussie où personne ne gagne sur tout, mais où personne ne perd sur tout non plus. L’idéal est toujours d’éviter une négociation où l’une des deux parties a l’impression d’avoir perdu. Il en restera une certaine amertume qui posera un problème plus tard. D’une manière ou d’une autre. Et ce n’est dans l’intérêt de personne.